LA GUERRE DES IMAGINAIRES

Il y a quelques années, dans le cadre d’un projet scolaire, j’ai eu l’occasion de demander à des enfants d’une école primaire de produire des dessins représentant leur vision du futur. Le thème était volontairement libre, je voulais connaître leurs idées sur la ville, les objets, ou les humains du futur. Le résultat fut assez univoque : il semblerait que pour les enfants, le futur se résume à des voitures volantes, des animaux volants, des objets volants ainsi que des robots ménagers volants et des machines à remonter le temps
(volantes).

Si ces dessins m’ont d’abord amusé, ils m’ont ensuite amené à me poser la question suivante : de quoi sont faites nos représentations collectives du futur? En voyant ces dessins, j’ai eu l’impression que nos imaginaires du futur n’avaient pas évolué, qu’ils étaient restés les mêmes que quand j’étais enfant, ou que quand mes parents l’étaient. Les fantasmes de la science-fiction des années 1970 semblent pour certains se concrétiser (on pensera par exemple aux casques de réalité virtuelle ou à l’émergence des intelligences articielles), et d’autres, comme les voitures volantes ou les voyages spatiaux, conservent malgré tout cette aura futuriste — ou plutôt devrait-on dire rétro-futuriste. Nous sommes habitués à voir une certaine image du futur, celle qui est montrée dans les spots publicitaires, sur les affiches de films, mais aussi dans le design des objets eux-mêmes. Le futur a comme un goût de déjà vu...

En tant que praticien, les questions technologiques sont au coeur de ma pratique personnelle. Et technologie et futur font bon ménage. C’est pourquoi le constat me semble en réalité plus grave. Le fait est que les grandes entreprises de la Silicon Valley (Google, Facebook, Microsoft, Apple, Amazon, entre autres) ont l’air d’avoir dévoré toutes nos visions d’avenir. Le concept de futur semble détenu par les leaders des nouvelles technologies. Le futur a plutôt comme un goût de javel...

Un mouvement de designers, pourtant, s’intéresse fortement à la question du futur technologique : le design spéculatif. Il remet notamment en question la domination technologique de la Silicon Valley et s’efforce de proposer des alternatives aux futurs produits par les sociétés technologiques et les médias mainstream.

Dans ce combat entre course à l’innovation effrenée et provocations avant-gardistes, la question est de savoir si la pratique du design spéculatif peut devenir un outil de réappropriation des imaginaires du futur ? et si elle se présente comme un outil efficace ?

En restreignant ces questionnements autour d’une pratique, distincte au sein du champ de l’art et produisant des objets singuliers, cela permettra à la fois de définir les contours du design spéculatif, et de dégager des éléments de réponses faisant écho à ma pratique personnelle.

L’émergence du design radical des années 1960 sera le point de départ de ma réflexion, puis je mettrai en lumière ce qui constitue, à mon sens, les failles de nos imaginaires du futur, pour conclure sur toutes les pratiques qui produisent des alternatives, proposent des futurs inattendus, et influencent mon travail.